Charles Kouoh Kotte : «Le MINSEP nous a alloué un maigre budget»

Le Secrétaire général de la Fédération camerounaise d’Athlétisme fait le point des préparatifs de la Team Cameroon qui s’apprête à participer aux 22èmes Championnats d’Afrique d’athlétisme prévus du 8 au 12 juin 2022 à Saint-Pierre. Il évoque les chances de médailles du Cameroun à Maurice, s’attarde sur les freins à l’accession aux podiums et revient sur les raisons du désistement du Cameroun.
Au regard du potentiel des athlètes camerounais retenus pour les prochains Championnats d’Afrique des seniors, qu’elles sont les chances de médailles de la Team Cameroon. D’abord chez les filles ?
Sauf incident de dernière minute, Nora Monie Atim, actuelle numéro 3 africaine, est une chance sure de médaille pour le Cameroun et, cela, dans ses deux concours [disques et poids, Ndlr]. Etudiante aux USA, elle présente un bien meilleur potentiel que les autres filles sélectionnées. Elle peut ramener l’or. A sa dernière compétition, elle a fait 16m45 au poids. C’est Auriol qui lançait le poids aussi loin en Afrique, avec ses 18m. A l’époque, Auriol gagnait très souvent avec 16 mètres.
Au disque, le record de Nora Atim est à 58m04. Elle a deux adversaires rudes, des Nigérianes, qui sont assez performantes. La meilleure, en Afrique, est actuellement à 59m. Il s’agit de la Nigériane Chioma Onyekwere.
Et les autres filles ?
Nous avons également Linda Angounou qui a un bon chrono sur 400 mètres haies. Elle est pensionnaire du Centre International de Dakar, au Sénégal. Le 22 mai dernier, elle a fait 57’’68 lors du Championnat de France des clubs numéro 1a, poule B. Elle est un grand espoir de médaille. Chez les trois autres filles, Véronique Kossenda a du Françoise Mbango et Mbumi Sandrine en elle. Avec ses 13.91 au triple saut et 6.37 en longueur, l’étudiante de l’INJS peut viser deux médailles. Il y a de fortes chances qu’elle puisse faire 14m à Maurice au triple saut. Et quand on sait que les 14m sont rares en Afrique… Elle est encore meilleure à la longueur.
Lorsqu’on revoit les performances de la Diamond League de dimanche dernier, 29 mai 2022, Véronique Kossenda et Raïssa Ngouopouo ne sont pas très loin des performances réalisées ici. Nos filles avoisinent les 6m50. Et là, c’est déjà une performance continentale. Sauf accident, elles seront sur le podium des Championnats d’Afrique d’athlétisme de 2022. Elles sont devancées par la Nigériane Ese Brume, vice-championne olympique, qui a fait 6m80 dimanche à la Diamond League. Derrière les Camerounaises, c’est la grosse bagarre.
A l’heptathlon, c’est ouvert. Tout peut arriver. C’est une première participation pour Adèle Mafogang. L’étudiante de l’INJS est le nouvel espoir camerounais sur les épreuves combinée.
Et chez les messieurs ?
C’est vrai que le sprint africain va vite chez les messieurs. Mais Emmanuel Eseme est capable de créer l’exploit comme Abessolo Bevina l’avait fait à Asaba en 2018 sur 200m. Puisqu’il a déjà couru en 10’’20 sur 100m. Ce qui signifie qu’il a le niveau de ses concurrents et qu’il peut aller en deçà de ce chrono. Pareil qu’au 200m ! Raphael Nganguelé n’est pas en reste. Il est sur les traces de son frère aîné. Au saut en longueur, nous avons le jeune Apollinaire Yinra qui a déjà fait 7m88. Avec une performance pareille, il est sur le podium africain. Car, voyez-vous, en Afrique, la longueur se gagne entre 7m80 et 8m10. Ce qui veut dire qu’il est dans le bain des meilleurs de son concours.
A quoi pourrait-on s’attendre avec Bangue ?
La surprise va être le jeune Jorim Bangue Bangue, sur 110m haies. Il ne cesse d’exploser le record du Cameroun à chaque meeting. Agé de 18 ans, il est classé deuxième mondial U20. En même temps qu’il s’apprête à participer aux Championnats d’Afrique d’athlétisme des seniors de Maurice, il prépare également les mondiaux U20. A l’entraînement, on monte ses haies en catégories seniors pour qu’il puisse travailler. Et à chaque course en catégorie seniors, il bat son record.
Le Cameroun alignera-t-il une équipe aux 4×400 m mixte ?
Ce n’est pas très sûr. Toutefois, la décision des entraîneurs sera fonction du niveau de nos enfants. Parmi eux, nous avons une athlète qui fait du 400m, Linda Angounou. A côté d’elles, Adèle Mafogang, qui fait l’heptathlon où elle a une bonne performance sur 400m. Elle courre la distance en 55 secondes. L’incertitude réside chez les messieurs. Nous avons deux athlètes qui peuvent faire le 400 m : Eseme et Ngaguele. Toutefois, ils seront pris par le 200m. Nous ne souhaitons pas gaspiller leurs chances de médailles sur 200 m en allant les inscrire en outre sur 400 m.
« …il nous a été alloué un maigre budget [20 millions Fcfa, Ndlr] pour aller à Maurice, lequel ne prend pas en compte la préparation de la compétition, ni même la possibilité d’aligner une équipe de relais ordinaire.«
Lorsqu’on parcourt la liste des athlètes camerounais retenus pour participer aux 22èmes Championnats d’Afrique d’athlétisme des seniors dames et messieurs, l’on constate que le Cameroun n’aligne pas d’équipe de relais ordinaire. Pourquoi ?
Il faut relever à ce niveau que la petitesse du budget et donc l’étroitesse de l’équipe nous pénalisent. Nous aurions pu avoir une bonne équipe du 4 x 400m et un très bon 4 x 100 m. Nous avons Tetndap qui est performant aussi bien sur 100m qu’au 400m. Avec lui, le jeune Ibrahima, qui vient de faire 10’49 sur 100m. Malheureusement, le ministère des Sports nous a alloué un petit budget en nous demandant de réduire la taille de la délégation à huit athlètes pour trois entraîneurs. Nous avons dû négocier pour arriver à 10 athlètes.
Au final, il nous a été attribué un maigre budget [20 millions Fcfa, Ndlr] pour aller à Maurice, lequel ne prend pas en compte la préparation de la compétition, ni même la possibilité d’aligner une équipe de relais ordinaire. Obligés donc de faire avec et, surtout, de procéder aux arbitrages. Ce qui pose tout de même le problème de la gestion équitable des fédérations civiles sportives nationales et de la participation aux compétitions internationales.
En quoi consiste le Trail et le Cameroun y prendra-t-il part ?
Cette épreuve a été annulée, faute de participants. Il n’y a pas eu d’inscrit. L’épreuve est semblable à l’ascension du Mont Cameroun. Si l’épreuve n’avait pas été annulée, cela nous aurait fait du bien que d’y participer.
Concrètement, qu’elles seront les réelles chances du Cameroun à Maurice ?
En toute logique, quand on regarde le ranking africain, je ferais une catégorisation à trois paliers pour répondre à cette question. Au premier niveau, je mettrai Nora Monie, Jorim Bangue, Véronique Kossenda, Linda Angounou et Apollinaire Yinra. Il s’agit-là des chances certaines de médailles pour le Cameroun. Maintenant, il y a la forme du jour et les aléas de la compétition. Tout peut arriver! Raison pour laquelle je ne saurais être affirmatif. Toutefois, nous avons contre nous l’impréparation. Il n’y a pas eu de stage bloqué, faute de financements. Le Ministère des Sports n’a pas prévu les fonds pour la préparation des athlètes. Aussi, nous débrouillons- nous avec les moyens du bord. Nous avons néanmoins essayé de booster le moral de nos athlètes en leur demandant d’aller se battre comme des patriotes.
Au second palier, je mettrais Emmanuel Eseme et Raphael Ngaguelé. Toutefois, au vu de la forme et de la motivation des enfants le jour de la compétition, et pour quelqu’un qui a couru en 10’’20, il n’est pas impossible qu’Eseme qui, pendant un bon moment, a été dans le quinté africain, nous fasse une surprise.
Le reste des athlètes de la Team Cameroon rentrera dans le troisième palier. Non pas pour dire qu’ils vont démériter. Mais ils sont encore dans le processus d’apprentissage et de familiarisation avec le haut niveau.
A quand le départ de la délégation pour l’Ile Maurice?
La délégation partira du Cameroun le 5 juin pour arriver le 6 juin et être dans les délais de récupération (deux jours) avant le début de la compétition. Cependant, Linda Angounou est déjà à Maurice. Elle y est arrivée samedi dernier. Athlète du Centre de Dakar, la structure nous a imposé de voir ses athlètes partir plutôt pour l’ile Maurice. Nous avons donc dû payer son billet d’avion afin qu’elle puisse se déplacer. Quant à Emmanuel Eseme, il partira de la France où il séjourne depuis peu. Jorim Bangue travaille en Afrique du Sud avec son coach. Il risque d’ailleurs effectuer le déplacement de Saint-Pierre avec la technicienne.
A la dernière édition des Championnats d’Afrique, le Cameroun n’avait remporté qu’une seule breloque dans sa gibecière. Rien à voir avec la belle moisson de 2016. Qu’est-ce qui explique un tel décalage ?
En 2018, à Asaba (Nigeria), le Cameroun avait eu une médaille d’argent grâce à Abessolo Bevina sur 200m. Cette année-là, nous avions commencé la petite rupture en introduisant de nombreux jeunes dans la délégation. Nous avions alors une grosse délégation de 25 athlètes parmi lesquels ceux dont on parle aujourd’hui. Cela aurait dû bien se passer puisque Auriol Dongmo, Sandrine Mbeumi et Fernand Djoumessi devaient être là. Malheureusement, Auriol nous a fait faux bond car elle était enceinte. Et Sandrine s’était fait mal au genou.
C’est vrai que deux ans plutôt, en 2016 à Durban, en Afrique du Sud, nous avions fait bien mieux. Mbeumi avait remporté deux médailles d’argent au triple saut et en longueur. Fernand Djoumessi avait également fait une médaille d’argent. Sarah Ngoa, elle, avait fait une médaille de bronze et Auriol médaillée d’or.
« Si déjà il est difficile de nous permettre de participer à une compétition internationale, je ne pense pas que c’est organiser une compétition internationale qui aurait été aisée. »
Le fait pour ces Championnats d’Afrique d’athlétisme d’être qualificatifs aux Championnats du monde en rajoute-t-il à la pression ?
Oui, les prochains Championnats d’Afrique sont préparatoires aux Championnats du monde à venir prévus du 15 au 24 juillet 2022 à Eugene, aux États-Unis. Les champions continentaux seront d’office qualifiés. Maintenant, pour les autres, il faudra réaliser des minimas pour décrocher son ticket qualificatif. Après cela nous aurions les Mondiaux U20 pour lesquels nous avons déjà deux qualifiés : Jorim Bangue Bangue (110m haies) et Ibrahima (100 et 200m). Ce dernier a fait sensation lors des deux dernières journées des meetings nationaux inter clubs. Suivront les Jeux du Commonwealth et les Jeux de la Solidarité Islamique. Cela veut dire que les Championnats d’Afrique à venir prépareront également pour ces deux dernières compétitions suscitées. Là, c’est pour les compétitions des seniors dames et messieurs. Plus tard, nous aurons les Championnats d’Afrique juniors U18 et U20, à Garoua.
Pourquoi est-ce que le Cameroun n’a pas organisé les Championnats d’Afrique d’athlétisme que la CAA lui avait pourtant promis ?
Si déjà il est difficile de nous permettre de participer à une compétition internationale, je ne pense pas que c’est organiser une compétition internationale qui aurait été aisée. Je suppose que le Cahier de charges contraignant n’a pas permis que l’Etat camerounais puisse organiser cette compétition-là. Je prends un exemple : il était question d’héberger tous les athlètes engagés. Or, le Cameroun, déjà engagé sur la voie de l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations de 2021 et qui passait avant [disputée du 9 janvier au 6 février 2022, Ndlr], n’aurait certainement pas été en mesure de faire face à cette autre grosse organisation qui devait arriver trois mois plus tard.
Héberger 54 délégations dont pour certaines, la taille peut aller au-delà de 400 personnes, à l’instar du Kenya, de l’Afrique du Sud, de l’Ethiopie… n’était pas du tout évident. L’Etat a, peut-être, estimé que ce serait très lourd, vue la proximité des deux évènements. Toutefois, quand on voit comment est-ce que l’économie du pays a tourné avec la CAN de football, nous nous disons que c’aurait été une bonne chose que d’organiser ces 22èmes Championnats d’Afrique d’athlétisme des seniors dames et messieurs.
Le Cameroun va-t-il candidater pour l’organisation des Championnats d’Afrique d’athlétisme seniors de 2024 ?
Oui, c’est ce que la Confédération africaine d’Athlétisme nous a proposé. Mettant en avant le fait que le Cameroun dispose des infrastructures de qualité. Nous n’aurions pas besoin d’aller, pour cela, d’aller à Olembé ou à Japoma. Bependa suffit. L’infrastructure possède le matériel ainsi que toutes les commodités nécessaires pour pouvoir organiser les Championnats d’Afrique. Pour la CAA, le Cameroun avait à choisir entre les Championnats d’Afrique des seniors ou les Championnats Juniors.
Le pays organisera cependant les championnats juniors d’Afrique centrale…
[…sourire] L’organisation de cette compétition nous a été confiée aux forceps. Et cela s’est passé à un mois de la compétition alors prévue à Kinshasa (RD Congo). Le Cameroun a été appelé en sapeur-pompier. Fort des magnifiques infrastructures dont dispose le pays et de l’expertise que nous avons, le Cameroun a accepté accueillir cette compétition.
Entretien mené par Bertille MISSI BIKOUN