Mohamed Mouktabil : « L’UFAK ne profite pas de l’expérience marocaine »

Autopsie de la gestion de l’Union des Fédérations Africaines de Karaté, ambitions personnelles, l’Open de Rabat… le président de la Fédération Royale Marocaine de Karaté se lâche.
Parti de rien du tout, avec un seuil d’endettement énorme, vous êtes parvenu à mettre sur pied un bijou destiné à la formation des athlètes : le Centre national de karaté de Rabat. Au regard des possibilités que vous offre ce centre, et fort des résultats obtenus, cela ne vous suggère-t-il pas des ambitions pour le niveau confédéral où vous décriez la léthargie ambiante ?
Bien sûr ! Toutefois, c’est à eux de demander. Ce n’est pas moi de chercher. Moi, je fais ce que peux pour le karaté. Nous sommes parvenus à organiser la Coupe Mohamed VI. Parmi les quatre meilleures compétitions au monde, nous sommes classés 1er mondial en termes d’organisation. La Coupe Mohamed VI est positionnée devant les compétitions de Dubaï, du Japon et celle de Paris. Il faut préciser ici qu’il s’agit d’un travail 100% marocain. Aucun étranger n’est présent dans l’organisation de la Coupe Mohamed VI.
Pareil au sein de la sélection nationale : il n’y existe aucun Marocain résident à l’étranger. Cela ne veut pas dire que je suis contre les Marocains de la diaspora. Au contraire ! Je leur donne l’opportunité de venir prendre part au championnat du Maroc. Si l’un d’eux gagne, il peut intégrer la sélection nationale. Mais au Centre, je donne la priorité aux jeunes en difficulté des quartiers de réussir. Ceux-ci ont la rage de s’imposer. Ce qui m’a caractérisé lorsque j’étais athlète. Donc, lorsque cela est possible, je donne la possibilité à ces enfants des quartiers difficiles de se faire une place au soleil à travers la pratique du karaté.
Ne vous arrive-t-il pas, quelques fois, de vous dire : je peux être président de l’Union des Fédérations Africaines de Karaté ?
Si. Et ce serait avec grand plaisir. Je ne dirais pas non. Mais je ne veux pas m’imposer. Seul mon travail doit m’imposer. Ils [les responsables des fédérations d’Afrique de karaté réunis au sein de l’UFAK, Ndlr] doivent le reconnaitre et l’accepter. S’ils veulent, et s’ils me le demandent, je suis prêt pour eux. Mais je ne peux pas aller leur dire que je veux être président de l’UFAK. Non.
Le monde entier et, maintenant, les meilleurs athlètes, lorsqu’ils viennent au Maroc, ils disent que l’Open de Rabat c’est le top. Ils le classent d’ailleurs numéro 1. Ce qui est une bonne chose pour l’Afrique. Mais l’UFAK ne profite pas de cet état de fait.
Quels sont vos rapports avec les dirigeants de l’UFAK ?
Lorsqu’ils viennent au Maroc, je leur donne tout ce dont ils ont besoin. Ils sont au petit soin : accueillis, logés, nourris et transportés jusqu’à la fin de chaque évènement. Le monde entier et, maintenant, les meilleurs athlètes, lorsqu’ils viennent au Maroc, ils disent que l’Open de Rabat c’est le top. Ils le classent d’ailleurs numéro 1. Ce qui est une bonne chose pour l’Afrique. Mais l’UFAK ne profite pas de cet état de fait. Ils voient tous les efforts que nous faisons au Maroc, mais ils ne veulent pas demander de l’aide. Or, je peux mettre au service du continent l’expérience que je vis avec la fédération marocaine. Je vais vous faire une confidence : je n’ai jamais demandé un poste à la fédération internationale. Je me soucis de bien faire mon travail en plaçant l’athlète au centre du processus.
Pourriez-vous être plus explicite…
Lors des compétitions, j’accorde davantage d’attention à l’athlète qu’aux encadreurs et ce, depuis l’accueil à l’aéroport, son hébergement, sa santé, nutrition, ses conditions de travail… Tout ce qu’un athlète peut me demander de manière à l’aider à faire la performance, je le lui offre gratuitement. Je m’arrange à ce qu’il ne manque de rien. D’ailleurs, durant les trois jours que dure une compétition, je reste davantage aux côtés des athlètes que des responsables qui peuvent, eux-mêmes, se prendre en charge. [Sourire…] C’est là mon secret.
Au quotidien, je passe également plus de temps avec les athlètes du Centre où j’ai une chambre. Nous [les encadreurs, NDLR] partageons les mêmes repas avec eux. Les athlètes sont comme mes enfants biologiques que je vois moins. La plupart de temps, je suis soit à mon travail, soit au Centre.
En mai prochain, la FRMK organisera le «Karaté 1 – Premier League Rabat». Parlez-nous de cette compétition internationale…
Cette compétition est par ailleurs connue sous l’appellation «Open de Rabat» ou «Coupe Mohammed VI». La capitale marocaine va accueillir cette compétition du circuit mondial pour la sixième fois. Elle est prévue du 12 au 14 mai 2023 et regroupera les athlètes seniors classés parmi les 34 meilleurs mondiaux de leurs différentes catégories. L’objectif étant de leur permettre d’améliorer leur ranking mondial. Malheureusement, nombre de pays frères n’ont pas des athlètes bien classés. Or, j’aurais voulu voir de nombreux pays africains prendre part à cette compétition internationale. Une fois de plus, c’est à L’Union africaine de karaté de travailler sur pareille perspective.
En somme, l’Open de Rabat est une compétition de l’élite mondiale…
En effet !!! Il faut être classé parmi les 34 premiers de sa catégorie pour y prétendre prendre part.
Le Maroc compte y engager combien de karatékas ?
Une vingtaine, tous classés parmi les 10 premiers mondiaux de leur catégorie.
Combien de pays la FRMK s’attend elle à recevoir à l’occasion ?
Plus de 80 pays. Nous avons le potentiel pour recevoir tous les athlètes. La majorité préfère Rabat. [Sourire…]
Des facteurs qui, non seulement rendent fiers nos athlètes, mais aussi les galvanisent, leur permet de gagner en confiance, de garder la tête haute devant leurs adversaires occidentaux et donc, de faire des résultats. C’est pourquoi j’estime que l’UFAK devrait capitaliser tout cela.
Quels sont les objectifs poursuivis derrière cette sixième organisation ?
Que l’athlète africain, en général, et, marocain, en particulier, prenne confiance en matière d’organisation. C’est-à-dire que lorsque nous allons dans d’autres compétitions, notamment en Europe, qu’il ne soit pas impressionné car l’essentiel de ce qu’il y trouve, on le fait chez lui. Donc, c’est à l’athlète étranger en général, l’Européen en particulier, de s’extasier de l’organisation en Afrique. Et non l’inverse. En prenant conscience de cet état de fait, l’athlète africain gagne en confiance et parviendra à s’imposer lorsqu’il sort.
Il en est de même pour les arbitres, staffs, membres de la fédération mondiale (car ce sont les mêmes personnes que l’on rencontre sur le circuit mondial) : ils doivent pouvoir reconnaitre le mérite de l’organisation en Afrique et voir que nous pouvons faire mieux qu’eux. Ils ne veulent pas le dire. Mais, on le sent à travers leurs regards et gestes.
Est-ce le même effet observé à chaque édition?
Au début, c’est un peu de jalousie. Après, on insiste. En effet, chaque année, nous faisons l’effort de nous améliorer, d’apporter une innovation à l’organisation. Nous ne restons jamais sur le même registre. Et, à chaque fois que les étrangers arrivent au Maroc, ils disent «waouh» ! Nous faisons tout cela pour montrer qu’en Afrique, nous pouvons organiser autant, si ce n’est mieux qu’ailleurs. Des facteurs qui, non seulement rendent fiers nos athlètes, mais aussi les galvanisent, leur permet de gagner en confiance, de garder la tête haute devant leurs adversaires occidentaux et donc, de faire des résultats. C’est pourquoi j’estime que l’UFAK devrait capitaliser tout cela.
Difficilement, vous verrez un Africain (Sénégalais, Burkinabè, Gabonais) se battre pour le podium. Il n’y a que les Européens à ce niveau de la compétition. L’Egypte et le Maroc se battent. L’Algérie et la Tunisie commencent à monter tour doucement. J’aimerais que le mouvement soit général en Afrique. Et qu’il y existe un énorme potentiel! On a besoin des personnes de 1m80 en Afrique. Où sont-elles ? On trouve des Africains d’origine en Europe mais avec des nationalités différentes. Tenez : l’Espagnol Babacar Seck Sakho, champion du monde des +84 Kg [Jeux Mondiaux 2022, NDLR] est un Sénégalais naturalisé…
Entretien mené à Rabat par Bertille MISSI BIKOUN